Nous quittons le désert d’Atacama, ses paysages lunaires, ses ciels étoilés pour la côte Chilienne et le Pacifique. En chemin nous traversons Chuquicamata, la plus grande mine au monde, qui, dans un cratère de 8km, arrache à la terre 10% du cuivre mondial… les montagnes alentours sont toutes des talus aux lignes trop droites et la pollution aux métaux lourds un secret que l’état n’arrive plus à garder. L’extraction minière reste la ressource numéro un du Chili et clairement l’environnement passe après.

 

 

Arrivés au Pacifique deux villes portuaires se lovent entre la dune et la mer : Arica et Iquique, époustouflantes façades maritimes, au terme d’un désert de pierres, où l’on voit les bolides du Dakar dévaler le final.

 

Une ville fantôme, inscrite au patrimoine de l’Unesco, vient ajouter à nos interrogations sur le cout environnemental du progrès : entre 1820 et 1900 le Chili extrayait du nitrate destiné à l’agriculture européenne ; avant la première guerre mondiale la production des mines de cette région répondait à plus de 60% de la demande mondiale, des centaines de bateaux depuis les deux ports voisins arrosaient le monde entier et nourrissaient un million de personnes. En 1920, un scientifique allemand mis au point une molécule de synthèse avec les mêmes qualités que le salpêtre, moins cher et « plus propre ». En 20 ans, 270 mines et autant de villages furent abandonnés créant ainsi ces paysages fantômes …

   

preuve à l’appui… la magie des engrais !

Ici notre route rejointe la Panaméricaine, cette dorsale qui serpente du Canada à Ushuaïa : le mythe ! Cap au nord, le Pérou, ses montagnes : Arequipa, la deuxième ville du pays, est une formidable porte d’entrée. Nous trinquons au Pisco Sour et dégustons notre premier Vino Peruano.

 

 

 

Une dose de pisco, eau de vie de vin à 42°, à laquelle on ajoute du citron, du sucre de canne et un blanc d’œuf… battez au blender ; buvez en deux et votre tête sera comme dans un shaker ;-) (je connais un Pharmacien de Poissy qui en est fan). D’ailleurs en parlant de tête nous devons ménager la nôtre. Depuis Arequipa et le canyon le plus profond du monde, Colca (superbe), nous séjournons entre 3000 et 5000 mètres d’altitude. Même après deux semaines nous avons drastiquement réduits nos dégustations et la bouteille la plus en vogue à Cusco ne contient ni rouge, ni blanc, mais un shoot d’oxygène histoire de faire passer le mal des montagnes.

 

 

Si Estéban, Zia et Tao savaient…! Mendoza et ses camarades conquistadors espagnols, plutôt que d’importer le vin d’Europe, ont planté des cèpes de vignes européens dans les oasis du désert péruvien. Toutes les villes du sud, Moquegua, Pisco, Ica non loin des mystiques lignes de Nasca, ont troqué quelques dunes pour des rangés de raisins. Paysage surprenants : les vignes entourées de sable, protégées par de hauts-murs et couvertes de filets… la taille du pied aussi diffère : ici beaucoup de cèpes sont en pergola, taille dite en hautain, et les grappes sont suspendues à 2 mètres du sol. L’avantage est triple : cela permet de produire plus de volume, les raisins sont protégés du soleil et la récolte facilitée (on en trouve en Italie dans des domaines bios ;-)). Naturellement les champs sont irrigués et cela permet de dépasser les 100 hectolitre de vin à l’hectare : 2 à 3 fois le rendement Français !

 

 

Tacama, le plus ancien vignoble d’Amérique du Sud, nous a ouvert ses portes à Ica, au nord des lignes. Installé dès 1540 par les colons espagnols qui vinifiaient dans des jarres en terre cuite, il a tour à tour appartenu à des européens, a été un monastère, à compté jusqu’à 800 hectares (imaginez 10 fois Minuty !!!) avant de redevenir péruvien et ne s’étendre ‘que’ sur 300 hectares. Il emploie 200 personnes à l’année, 250 saisonniers pour les vendanges, et produit du Pisco ainsi que des vins de cépages français. Depuis cent ans les machines ainsi que les barriques sont importées d’Europe et de nombreux consultants épaulent le maître de chai, tous français. L’absence de législation leur a permis de tester plus de 100 cépages et aujourd’hui ils exploitent chardonnay, roussane, viognier, arrufiac, colombard, chenin en blanc ; en rouge du tannat, du malbec, mais aussi, et c’est une belle surprise, du Petit-Verdot, le secret des grands bordeaux.

 

 

Côté chai les savants français ont déployé une ingénierie pointue pour optimiser la vinification et obtenir, malgré l’aridité du climat, des vins vifs, frais et croquants. La cuverie, rénovée en 2008, est gigantesque : elle comprend des dizaines de cuves inox, des pressoirs pneumatiques et 3 alambiques Charentais pour le Pisco. Les vignes, malheureusement, sont traitées ; César, notre guide, nous expliquera que c’est normal pour éviter les « champignons »… Le travail est fait à la main, éraflé mais pas trié et l’élevage en fut de chêne français. Pour être honnête, malgré quelques réserves, nous ne nous attendions pas à autant de soin et de savoir-faire dans le désert.

 

 

Tacama produit également des vins effervescents : « on n’a pas le droit de l’appeler champagne mais c’est pareil » nous a t’on assuré. Malgré leurs allégations la méthode n’a rien de champenoise : c’est le procédé de « Charmat », prise de mousse en cuve close (utilisé notamment pour le Prosecco italien ou le Sekt allemand) qui coûte moins cher et tend vers des vins plus fruités et moins fins que notre bulle nationale.

 

Monsieur Hollande à lui aussi eu le droit à la dégustation Tacama ;-)

 

A la dégustation la gamme Tacama se décline en vin mono-cépages et en assemblages ; nous vous en présentons deux :

  • « Blanco de Blancos », assemblage de Roussane, Arufiac et Colombard en 2016. Arômes de fruits jaune suivis d’une bouche florale et minérale. C’est léger, vif et sec, avec une faible acidité, cela nous rappelle un Saint Péray du Rhône par sa fraîcheur et son équilibre. Environ 9€
  • « Gran Tinto », assemblage de Malbec, Tannat et Petit Verdot 2016. Un nez de fruits mûrs, une bouche ample et une finale légèrement épicée. Les tannins sont fondus et le petit-verdot apporte à ses deux camarades une structure plus vive et une acidité franche qui donne un vin plus mordant que les classiques sud-américains. Environ 5€

 

Le terroir, vanté comme exceptionnel sur leurs publications, n’a jamais été mis en avant par nos guides. Leurs consultants français auraient établis que l’air frais des Andes qui sévit la nuit et les alluvions de la montagne confèrent à ce désert une roche-mère idéale… peu convaincant. D’ailleurs les millésimes importent peu et même si les vins passent en fut, rien ne les destinent à être vieillis. Le sommelier maison nous a assuré qu’ils pouvaient se garder 2 ans ; c’est dire.

 

 

Quoi qu’il en soit nous sommes très agréablement surpris : les vins sont élégants et peuvent rivaliser avec les Chiliens, les Américains ou les Argentins. Même s’ils manquent de profondeur nous avons été charmés par leur fraîcheur et à l’échelle mondiale ce vin du Pérou est un remarquable milieu de gamme qui évite les écueils du trop alcoolisé, trop fruité, trop boisé ou trop riche. La R&D de Tacama, initiée il y a plus de 50 ans, donne des résultats encourageants et croyez moi il y a bien des crus français qui pourraient s’en inspirer. Se remettre en cause, évoluer dans le respect d’un héritage… cette démarche vertueuse me rappelle Philippe Boucard, viticulteur à Bourgueil, qui souhaite décliner en blanc son vin, et vient cette semaine de récolter ses premiers chenin pour d’ici une dizaine d’année faire créer ce terroir en blanc auprès de l’INAO ; une belle rencontre que j’aurai plaisir à vous raconter prochainement.

 

 

Au prochain épisode nous remonterons plus au nord du Pérou pour rencontrer Charlène, une française à la direction d’un domaine Péruvien depuis 10 ans, pour mieux comprendre ce vignoble si singulier et en évoquer le potentiel. Il y a 500 ans les conquistadors s’émerveillaient des ces villes d’or, il y a 100 ans on découvrait le Macchu Pichu, 50 ans les lignes de Nasca et finalement aujourd’hui encore le Pérou nous réserve bien des surprises…

A l’image de ces mines, plaies béantes que nous infligeons à la Terre, apprenons des erreurs du passé ; Voltaire disait : « Les incas avaient des palais incrustés d’or et couverts de paille, emblème de bien des gouvernements. »

 

Petites gourmandises… un hamburger d’alpaga, frites de 3 pommes de terres et guacamole maison : un délice !