Nous poursuivons notre balade dans le Valle d’Uco, 100km au sud de Mendoza. Ici, au début des années 2000, six investisseurs Bordelais ont accompagné le pygmalion de Pomerol pour créer ex-nihilo le plus parfait des vignobles.

 

Son nom est Rolland, Michel Rolland. Ni au shaker, ni à la cuillère, son vin il le pense, l’idéalise, le microscopise. Œnologue passez maître dans la vinification, ont lui doit à partir des années 80 le renouveau des vins de Bordeaux : aidé de sa femme Dany, ils ont développé une viticulture savante ou l’éprouvette et l’intervention technique permettent une régularité de crus élégants.

Décriés, jalousés, inventeur de la Parkerisation, soulignons malgré tout le prestige des près de 200 domaines que le Flying Winemaker conseille, parmi lesquels des Pomerols et des St Emilions (l’Angélus, Ausone, l’Evangile, Beau-Séjour Bécot, La Gallefière, Pavie) et sur l’autre rive des Margaux, des Pauillacs (Giscours, Pape-Clément, Pontet-Canet, Smith-Haut Lafitte, Prieuré Lichine, L’arrivet Haut Brion). Ajoutons ses domaines dans le Bordelais, en Afrique du Sud, ses participations en Californie et en Chine et vous comprendrez que l’homme, tempétueux, n’a que faire des cris d’orfraie qu’il suscite en France.

Tombé amoureux d’une vallée aride du sud de l’Argentine, notre Agent Secret du vin s’est constitué un casting de choc : Laurent Dassault ‘fils de’ et propriétaire du château éponyme, Eric de Rotschild, les familles Bonnie (Malartic Lagravière, Gazin Rocquencourt),  Cuvelier (Château Poujeaux), Catherine Péré-Vergé et Jean-Michel Arcaute propriétaires à Pomerol. Pas de braquage en perspective, leur seule ambition faire le meilleur vin d’Amérique du Sud. Ainsi nait le Clos des 7 en 2002 : 850 hectares et 5 chais dernier cri ou chacun élabore son vin et commercialise le reliquat en marque commune.

La famille Bonnie nous ouvre les grilles du Clos et nous invite à une visite privée du Domaine Diamandes. Une piste caillouteuse nous mène jusqu’à la barrière d’accès; nous montrons pâtes de velours et le cerbère nous confie un plan afin de rejoindre le chai. Quinze minutes de route et l’on devine enfin à l’horizon cinq complexes viticoles tout droit sortis de l’imagination de Dr No. Passée l’Avenue Michel Rolland (si,si), nous tournons à gauche, roulons au pas quelques dix minutes le long de massives canalisations d’eau et enfin se dresse face à nous le caillou.

Tel un vaisseau minéral dont l’architecture horizontale s’efface devant les sommets andains ; l’édifice pensé par un binôme Argentin vise à l’intégration parfaite de l’outil dans son environnement : les lignes électriques ont été enfouies, un forage à 190 mètres de profondeur et un aqueduc souterrain irrigue les 130 hectares de cette parcelle et la distribution enterrée des pièces optimise la vinification… primée en 2010, dès son inauguration, le chai est un bijou de technologie où la quête de la perfection a été seule guide. Nous ne parlerons ni d’argent, ni d’environnement ; nous sommes ici en face de la ‘Bugatti du vin’.

Une capacité de production surdimensionnées, des vignes de malbec, de cabernet franc, de merlot au cordeau : rien n’a été laissé au hasard. Au centre un prisme de diamant fait entrer la lumière sous terre et la cave reçoit en son cœur une lumière zénithale…

Matthieu, notre guide, nous présente le projet avec une honnêteté déconcertante:  « ne soyez pas distraits par cet emballage prétentieux (voir mégalo) » ; ensemble nous regardons le plan d’encépagement par parcelle, le travail à la main, les tests de viognier, les différentes qualités de sol et la liberté que chacune des 5 bodegas prend pour vinifier ses vins. A l’intérieur le cuvier nous parait vide, sans âme. L’architecture contemporaine séduit mais il ne se dégage aucune émotion ; les cuves sont contrôlées au dixième de degré, c’est génialement froid.

Le chai circulaire, lui, envoûte. 2800 fûts de chêne français font la ronde de 18 à 24 mois et au centre de ce temple un escalier en colimaçon invite à la crypte.

Au terme de ce parcours nous pénétrons dans un lieu secret, éclairé d’un puits de lumière. Tout autour de cet antre des niches réservent une collection familiale de tous les millésimes et, en son centre, 6 colonnes soutiennent une table de partage.

Nous commencerons la dégustation par des prélèvements sur cuve inox et en barrique, puis continuerons par les bouteilles des dernières mises. Le malbec 2014 est concentré, intense, et cet exercice à différents stades de l’élaboration du vin mets en valeur le style bordelais, le savoir faire « Malartic Lagravière ». Et pour cause, la Famille Bonnie profite de l’inversion des saisons pour que leurs cadres Argentins viennent en France en septembre et envoie leur équipe Bordelaise à Mendoza en Mars. Notre hôte nous précise qu’ici Michel Rolland n’intervient pas et que seul prévôt l’esprit de la famille. L’assemblage maison se révèle d’une rare élégance. Le malbec majoritaire apporte le fruit noir, la gourmandise puis le cabernet structure, tend et allonge. Intense, moderne, le vin ne manque pas de finesse, les tanins sont soyeux, l’utilisation du chêne (à peine perceptible) arrondie, assagie et l’ensemble est fort séduisant. Il s’agit indéniablement d’un excellent vin et sa vivacité lui promet un vieillissement potentiel de quelques 5 à 10 ans ; une rareté en Argentine.

Pour qui, pour quoi ? A près de 25€ ce vin idéal n’en n’est pas vraiment un. Peut-être  trop cher pour un marché sud-américain en crise mais eu égard à l’investissement et au travail le prix se conçoit et l’audace de cet épopée a de quoi fasciner. L’europe ?  Qui préférait un cru solaire Argentin à un St Julien ? Les USA ? Ils ont leur onéreuse Californie. Même s’il est excellent, ce vin est bien jeune ; une histoire, un terroir, une âme lui font défaut.

Sans-doute est-ce là une vérité. Le Clos des 7 prend de la bouteille ; certains sont décédés, retraités, d’autres comme Dassault et Rotchild font bande à part et désormais l’avenir des 5 maisons n’est plus un chemin unique. La quête de la famille Bonnie, l’abnégation, l’exemplarité, la rigueur trahissent un désir de postérité. Sans-doute, d’ici les prochaines générations arriveront-t ‘ils à rendre Diamandes éternel.

Nous célébrons Noël à Cordoba, deuxième ville du pays et profitons d’un formidable soleil d’été. Nous bénéficieront d’une coutume forte opportune : jugez-en vous même. Les Argentins sont les premiers consommateurs de boissons gazeuses dans le monde, devant les Américains.

A la veille du réveillon les caddies sont remplis d’énormes bouteilles de sodas, de mousseux à l’ananas, de cartons de cidre bon marché et de bière au litre: superbe asado en perspective !

Le vin est a si peu la cote que les grands de Mendoza liquident leurs plus belles bouteilles dès le 20 décembre. Imaginez qu’en France champagnes et grands crus vous gratifient de 50% avant les fêtes.

A nous les étiquettes les plus en vogue… certains blanc de Catena Zapata sont remarquables.

Mention spéciale à notre grand-père qui nous a fait parvenir depuis Orgeval un peu de France 98: chacun ses références de champion du monde !

Nous laissons là l’Argentine et ses sommets ; une route de quelques heures nous mène à 3000 mètres d’altitude au pied de l’Aconcagua. A l’est s’étend le Chili, le frère ennemi, l’autre pays de vin. Quatre fois moins peuplé, le pays produit autant que l’Argentine et il entend bien devenir l’un des trois plus gros du monde (+36 % en 2017 !) avec pour cible le marché Chinois.       

«Regardez bien, ma soeur; Est-ce assez? Dites-moi: n’y suis-je point encore? Nenni

M’y voici donc? -Point du tout.

M’y voilà? – Vous n’en approchez point. »

La chétive pécore s’enfla si bien qu’elle creva. 

Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages.
Tout bourgeois veut bâtir comme les grands seigneurs ,
Tout prince a des ambassadeurs, 
Tout marquis veut avoir des pages.»

La grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf, Jean De la Fontaine