Si on t’organise une vie bien dirigée où tu t’oublieras vite, est-ce que ça vaut la peine ?

Sans doute voici le cri qui a poussé Charlène et son mari, champenois, à quitter la France à la fin des études œnologiques de Monsieur, pour prendre la direction technique du deuxième plus grand domaine péruvien, Tabernero. Ici en France l’idée d’une carrière « plan-plan » et la faible rémunération les ont fait fuir il y a 10 ans… Là bas sur la côte pacifique, 200km au sud de Lima, le domaine qui les emploie s’étend sur près de 300 hectares et produit du Pisco, du vin de vignes américaines et du vin de cépages européens (vitis vinifera). Naturellement leur expatriation leur confère un statut et un style de vie très confortable, mais au delà, ce qui les meut c’est le challenge permanent : éduquer, s’adapter, être écoutés et s’impliquer sont autant de sources d’épanouissement.

 

Charlène, 34 ans, nous a présenté sans far le domaine et le vin Péruvien en général. Déjà le consommateur n’a pas le même palais : ici il aime le sucré, le vin est occasionnel et le Borgoño, un vin de vignes américaines, a la cote… « en toute honnêteté c’est ce vin rouge clairet, 10° et un goût de fraises des bois trop mûrs, servi frais qui nous fait vivre. » Elle n’en boit pas ; lui le vinifie consciencieusement et s’amuse de faire à la fois ce type de jus, des crus plus européens et de distiller le Pisco national ; autant de chances d’exprimer sa sensibilité.

 

 

Le consommateur, toujours lui, exigeant et nouvellement converti au jaja n’accepte pas le dépôt. Cette matière qui contribue à la mâche de certains rouges, ces cristaux lumineux qui se dressent à l’intérieur des bouchons de jolis blancs n’ont pas droit de cité et pour y remédier rien de mieux qu’une stabilisation tartrique. Entendez par là un séjour de quelques jours dans une cuve à -4°, juste avant le stade glaçon, pour sortir un jus d’une parfaite limpidité lors de la mise en bouteille. Systématique en Amérique, cela se pratique aussi en France, néanmoins c’est une intervention interdite par le cahier des charges Demeter (biodynamie) et même si les lobbys aidant il est difficile d’en trouver une critique. Libre à vous d’apprécier ce qu’un passage au congélateur peut faire à un grand bourgogne…

 

La conduite de la vigne est une autre affaire. Disons que ce terrain de jeu est fermé et que les viticulteurs, qu’ils soient de la maison ou indépendants, font un peu comme bon leur semble. Cela évolue, lentement, mais le raisin est globalement de bonne qualité, notamment grâce au climat, et… la chimie assure le reste.

Va, bat toi, signe et persiste ! Nos deux français, loin de s’avouer vaincus, ont bien au contraire développé une gamme de vins de cépages, du tannat au malbec, du chenin, du sauvignon et ils ont installé en sous-sol une cave où des fûts de chêne français élèvent paisiblement leurs vins de demain.

A la dégustation, le cabernet sauvignon est élégant, le rosé de malbec joueur et l’assemblage rouge parfaitement équilibré. Notre guide esquisse humblement un «  c’est pas trop mal, non ? ». Pudeur inutile…oui c’est bien! Subtil et frais, la palette aromatique va des fleurs aux fruits et de l’amer à l’acide. A nouveau le Pérou nous confirme que ses vins sont prometteurs et la foi de nos compatriotes augure de belles cuvées. Si l’on ajoute un marché peu concurrentiel avec 3 producteurs pour 30 millions d’habitants, une main-d’œuvre peu onéreuse qui facilite le travail manuel et une cuisine péruvienne en vogue comme tremplin à l’export; alors nous pourrions avoir découvert au Pérou uns des pays viticole d’Amérique du Sud les plus prometteur…

 

Cherche ton bonheur partout, va, refuse ce monde égoïste !

Voici le crédo de notre deuxième rencontre, un sémillant couple de franciliens. Stationnés dans un petit village isolé des montagnes du nord argentin, de nuit, un compatriote frappe à la fenêtre pour nous saluer. Jeune pensionné, habitant à moins de 20km d’Orgeval, il célèbre sa liberté au volant d’un camping-car qui va les conduire plusieurs années à travers les Amériques. Qu’elle ne fut pas notre surprise, le lendemain en réunion de voyageurs (à l’apéro en somme), de constater qu’ils avaient pensé à emporter dans leurs bagages quelques bouteilles de notre ami Xavier Amirault à St Nicolas de Bourgueil.

 

Cette bouteille de l’autre bout du monde sera un bonheur qui ira bien au delà de ses 750ml de Loire: nos amis communs, la sympathie d’Hélène et Alain, les ressenties réciproques du voyage, les aléas de la route, les bonnes adresses, l’énergie, l’optimisme et un certain penchant pour l’aventure. Une improbable rencontre dont la route a ses secrets et où le tire bouchon fait office de détonateur! Rabelais ne s’y est pas trompé : le vin rassemble.

 

bière artisanale à la courgette (top !), tapas de fromage de lama et quinoa, ceviche de flétan… cuisine extra 

Résiste ! Ce monde n’est pas le tien, viens, bats toi, signe et persiste.

Tel est le sentiment profond que nous inspirent les vestiges Incas et l’extinction de leur civilisation. A leur apogée, au 16ème siècle, ils étaient de talentueux architectes capables de construire des cités parasismiques. Agriculteurs soucieux de l’environnement, ils avaient conçus des terrasses permettant d’acclimater les végétaux aux hautes altitudes et d’irriguer leurs terres arides. Astronomes, humanistes, le code d’honneur de l’Inca imposait le respect, l’honnêteté et le travail pour l’intérêt commun : pas étonnant qu’ils aient accueilli Pissaro et les conquistadors si pacifiquement. Matés, pillés, convertis au christianisme, l’occupant espagnol urbanisa et construisit sur chaque temple une église. 350 ans plus tard, en 1911 précisément, un génial aventurier yankee au profil d’Indiana Jones, entra dans l’histoire comme le découvreur de Machu Picchu grâce à un jeune homme qui lui montra le chemin de la cité…

Ce qu’omettent les livres, ce sont les 75 000 pièces archéologiques, momies et autres trésors qu’Hiram Bingham rapporta dans les réserves de l’université Yale en 1919. Le Pérou, dixit notre guide d’un jour, n’a jamais revu ses trésors malgré les nombreuses demandes émises aux USA…

Machu Picchu, Ollantaytambo, Moray… tant de génie ! A Cusco, sur la dernière photo figure un monastère construit sur les fondations d’un temple Inca

 

Si on veut t’amener à renier tes erreurs, c’est pas pour ça qu’on t’aime.

En effet, bien imprudent celui qui jugerait l’histoire et prétendrait rebattre les cartes. Que ce soit au Pérou ou en France, dans nos vignobles; apprécions seulement l’ingéniosité, l’esprit, le patrimoine transmis par nos aïeux et résistons.

 

Nous quittons le Pérou emerveillés : ce que l’on y a vu, certes, est formidable, mais c’est ce que cela promet qui nous a le plus touché. Notre prochain épisode fera la part-belle à l’aventure : au cœur de la plus haute capitale du monde, La Paz, nous gouterons du cochon d’inde, trinquerons au Singani, une gnôle des Andes, goûterons l’api, une boisson de maïs rouge, chiquerons de la coca pour supporter les 5000 mètres et repousserons nos limites. Qui souhaite nous accompagner en Bolivie ?

 

Là où nous avons dormi… nous n’avons pas été dérangés !

 

Partir c’est explorer ce nouveau monde qui émerge, le comprendre, le façonner. C’est vouloir participer à un concert de voix nouvelles dans lequel chacun ambitionne d’ouvrir un chemin original et de répondre à cette question « D’ou viens tu ? » En réponse ceux-ci voudraient répliquer : « qui es tu ? » ; tant il semble désormais vain d’enfermer quelqu’un dans une identité clichée, fondée sur ses seules racines. Alors le monde aujourd’hui crie à tous les candidats au départ : « Et vous ? Que rêvez-vous d’être désormais ? »

Sébastien Jallade, L’appel de la route

 

11 000km au compteur… Bolivie nous voilà !