Que trépasse si je faiblis. Tel des croisés en terre chilienne nous prenons la direction de la vallée de Colchagua, lieu-dit Apalta, au sud de Santiago, à la conquête des grands crus qui valent à la région une renommée mondiale. Rejoints par deux amateurs français pour cet exercice pointu (nos parents ;-), nous allons découvrir tous les quatre deux domaines en vue… Moteur!

Nous sommes dans la vallée centrale entre la cordillère des Andes à l’est et l’océan pacifique à l’ouest, sous un climat tempéré. On retrouve dans cette campagne au printemps le charme du Piémont et la lumière dorée Bourguignonne. Depuis le 19ème siècle on exploite ici des cépages français et la géographie vallonnée a encouragé des exploitations à taille humaine. Sans surprise sur la dizaine de domaines la moitié arbore un pavillon étranger : des américains de la Nappa Valley et des Français dont Rotschild, Grand Marnier ou encore la famille Dauré (Muscat). Malgré les efforts marketing déployés pour créer une histoire ancrée dans la tradition locale, l’essentiel des chais a moins de 20 ans et rivalise d’audace architecturale.

Le Domaine Montes sera notre première halte. Ce projet Chilien fondé dans les années 90 résume a lui seul l’état d’esprit des professionnels de la région. Premier à avoir planté sur les coteaux, premier à utiliser le chêne… il se veut premier partout !

Mais comme dis l’adage « plus l’orgueil s’élève plus il fait le vide au dessous de lui » : au bout d’une élégante allée de vignes se dessine une dalle de béton suspendue. Tout autour, des parcelles de vignes mènent le regard vers l’horizon et un élégant chemin japonais conduit à l’entrée de la boutique… superbe. Pour vous la faire en toute modestie voici la promesse inscrite sur les murs «  4 grands visionnaires sont à l’origine de l’expérience Montes, l’excellence de ses vins, les meilleurs du pays, la gastronomie de son restaurant mondialement reconnue, inoubliable, et la pensée Feng Shui du site ». Rien que ça.

La visite, 20€, fait l’impasse sur les vignes… les touristes américains qui nous accompagnent n’ont pas l’air des plus alertes pour marcher et salir leurs chaussures. Dommage nous aurions pu saisir la complémentarité du désherbage 60% lama, 40% herbicide ! La cuverie, inox et foudre de chêne, est gigantesque ; elle fonctionne par gravité pour minimiser les manipulations et préserver le raisin.  Pensée en harmonie avec les éléments de la terre, la fusion du bois et de l’acier permet à l’eau de circuler pour que l’énergie abonde (et les dollars aussi non ?). En sous-sol, le chai en amphithéâtre nous en met plein la vue : 800 barriques de chêne français (1 million d’euros !) se donnent en spectacle au son de chants grégoriens (si, si). Aussi fascinant que douteux ; notre guide nous assure que les vins sont vivants (même s’ils emploient du glyphosate ?) et que la musique favorise leur vieillissement. Je dois être un peu trop de le veille école mais ce spectacle de pensionnés américains se promenant en chemise hawaïenne au son de Era me laisse perplexe. Ameno !

Nous regagnons l’étage où une grande table d’hôte nous attend pour déguster 4 vins. Aurelio Montes, le prodige chilien à la tête du domaine, a voulu 3 gammes : le plus smart, le M, iconique nous a t’on rabâché ; la gamme Alpha, ultra premium intermédiaire, et enfin la gamme Réserve, ‘une opportunité à ce prix-là ma bonne dame’. Le vocable laudatif nous rappelle le marketing hôtelier où la ‘supérieure’ et la  ‘deluxe’ ne sont que les chambres standard et où les investisseurs misent tout sur le produit au détriment du service. Tout cela manque cruellement d’authenticité.

 

Nous débutons l’expérience par un sauvignon fort honnête. Le vin est vif, la palette exotique maitrisée et la finale, trop courte, suggère l’agrume fraîche. Nous poursuivons par un Cabernet élevé en Argentine modestement baptisé Ultra et un assemblage hors des sentiers battus, carignan, grenache, mourvèdres, le bien nommé ‘Outer Limits’. Concentrés et charnus, même s’ils manquent d’agilité, ces vins expriment avec justesse la typicité variétale ; le carignan et ses tanins épicés nous rappellent la chaleur d’un Corbières rocailleux pour un ticket d’entrée similaire : 9€.

Nous terminons par le plus vendu, le Montes Alpha : 90% de Syrah et 10% de Cabernet. Périlleux, cet exercice se révèle réussi. Raisins récoltés à la main, faible rendement, 12 mois de fût de chêne… un bel ouvrage sans sur-extraction. Le jus aux âromes complexes de fruit rouge évolue sur le cuir, le bois est présent sans excès et la finale soyeuse signe un vin élégant. On aurait attendu un vin plus flambeur, un gaillard type Chateauneuf du Pape mais cette interprétation sage n’est pas déplaisante. Comptez 16€ le flacon ; 55€ si l’iconique M vous tente.

Nous poursuivons notre balade à Apalta au très exclusif domaine Neyen. Le vignoble, qui est planté en cabernet sauvignon et carménère, est plus que centenaire et franc de pied. Les vendanges se font manuellement ; labélisé biodynamique, le domaine a recours à des moutons pour désherber, les vignes sont marcotées sur les pieds anciens et surtout il n’y a aucune irrigation. Le graal ! Nous parcourons ces parcelles sous le charme de cette nature originelle, de ces sols granitiques, de ce chai à l’architecture sobre, grande bâtisse de bois et d’abode. Ici enfin on parle de culture, de tradition, de géologie… ici enfin on parle de terroir.

La visite du chai sera plus succincte : par crainte des tremblements de terre les raisins sont vinifiés à 150km de là dans une autre bodega, industrielle, détenue par la famille. Notre visite à 35€ par personne (!!!) se termine par la dégustation de deux millésimes de leur unique vin,  en 2013 et 2014. D’une couleur rouge sombre, le jus révèle une belle maturité du raisin délivrant des arômes de fruits rouges, des tanins vifs et une acidité qui rappelle un joli St Estèphe. Cette charpente bordelaise gagne du Carmenere, cépage français oublié, une pointe d’épices, de gourmandise, de tonus. La bouche est ample, réjouissante et se prolonge sur des arômes de sous bois. Elegant, complexe, indéniablement un grand vin… tout de même facturé 65€.

Tels les visiteurs nous avons fait un voyage spatiotemporel et cette réalité s’impose à nous comme l’avenir du marché mondial du vin. Les touristes fortunés, brésiliens, américains, qui nous accompagnent sont subjugués par le merchandising déployé. Un chargé d’accueil s’exprimant en parfait anglais vous accompagne de la boutique au restaurant, vous vante les valeurs de la famille, vous déballe les nombreuses récompenses et vous assomme de qualificatifs plus prétentieux les uns que les autres. Les installations sont ultra-modernes, les investissements engagés colossaux et la maitrise est partout. La maison accepte les American Express, bien entendu. Au delà du parc d’attraction il faut reconnaître à ces vins modernes leurs qualités et pour certains souligner le terroir qu’ils expriment. Pas étonnant qu’ils rencontrent un franc succès sur des marchés dynamiques et déréglementés, malgré un prix qui à nos yeux nous semble exorbitant.

Leurs infrastructures, leur adaptabilité, leur audace et leurs tailles gigantesques font de ces jeunes acteurs du marché du vin de redoutables compétiteurs face aux producteurs français. Ces blockbusters prêts à conquérir le monde intimident tout autant qu’ils forcent le respect. Surtout cette pensée mondialisée nous conforte dans le besoin que l’Europe et surtout la France ont de faire entendre leur spécificité, leur histoire, leur terroir. Il est de notre devoir de faire comprendre nos vins !

Nous continuons notre route au nord du Chili pour découvrir ce qu’une industrie aussi concentrée peut engendrer comme dommages collatéraux…

Au prochain épisode nous vous emmènerons dans le maquis, à la rencontre de résistants agricoles.

“Si vous voulez faire un film qui, d’une manière absurde, doit plaire à la planète entière ( c’est exactement ce que fait Hollywood ), vous devez procéder par stéréotypes, compréhensibles par tous, vous devez être clair jusqu’à en être bête, vous devez parler un langage universel, vous devez synthétiser et simplifier jusqu’à l’absurde.” Alessandro Baricco