Depuis une quinzaine d’années l’Argentine s’est hissée en tête des pays producteurs de vins et son vignoble, nous allons le découvrir, est frappant par sa bipolarité. D’un côté les mastodontes internationaux investissent à tour de bras et de l’autre de petits artisans font une cuisine à l’ancienne et parient sur des terres moins courues. Imaginez : en France sur 800km du nord au sud s’établissent 90 000 domaines là ou en Argentine, sur 3 000km au pied des Andes, on dénombre à peine 700 producteurs… De règles, il n’y en n’a pas, et chacun peut donc planter le raisin qu’il veut, où il le souhaite, le cultiver comme bon lui semble, user d’irrigation, de chimie ou au contraire laisser faire dame nature. Le far west en somme, et ce ne sont pas les paysages qui nous feront mentir.

 

« Et pour ne pas que les fous nous renversent
On prenait les chemins de traverse même
S’ils ne sont jamais les plus courts » F Cabrel

 

 

Sortis de Colomé, notre vignoble bijou, nous parcourons les vallées Calchaquies vers le sud pour atteindre Cafayate. Impossible d’imaginer que nous sommes en terres de vins dans ces paysages de westerns ou les plateaux désertiques succèdent à des canyons ocres. Pourtant au détour d’un rio, d’illustres pieds de vignes aux troncs torsadés défient les cactus. Ici le gaucho règne en maître sur son cheval, le dimanche les familles improvisent des rodéos et le vins qu’il boit fait office de couteau suisse : il peut également servir de vinaigre, de détartrant ou de carburant pour un vieux tacaud. Ne reculant devant aucune potion votre serviteur s’est plié à l’achat aveugle de vins du cru… et l’expérience fut surprenante.

 

Une halte dans une cahute d’adobe, un écriteaux ‘hay vino casereo’ comme seul appât et une grand-mère qui devant tout au plus 20 bouteilles produites par le fiston, nous fait l’article : « ce merlot est très bon, ce malbec est très bon, ce torrontès sucré est très bon » ; Muy rico qu’elle nous dit. L’étiquette, une palle photocopie, ne nous en dira pas plus et nous partons avec quelques quilles sous le bras pour une dizaine d’euros.

 

 

Que dire de ce malbec ? Il résume en soit un concept qui m’est cher : «  le grand producteur ne fait pas que du mauvais, le petit, pas que du bon ». Le nez explose de fruits ; au delà de la fraise sucrée, c’est la mûre qui prédomine. La bouche ample, charnue, dense et le jus concentré… patatras : ici s’arrête la balade. Une aigreur vous envahit le palais, les arômes de fruits s’effondrent vers une acidité fatale façon cerises au vinaigre et tout cela vous laisse la bouche malmenée.

L’explication est tout autour de nous : en ce début de printemps la météo nous gratifie d’un joli 35 degrés. Imaginez la fin d’été, au moment des vendanges sous 45 degrés. Le raisin, surement un peu trop mûr, macère dans les paniers de récolte avant d’arriver au chais ; s’ensuit une vinification rustique où le matériel classique ne permet pas de réfrigérer la cuve : c’est la fêtes des levures, le degré alcoolique explose et au moment de la mise en bouteille on ajoute ce qu’il faut de souffre pour couper court à la fiesta. Ca rappellera à certains le Languedoc des années 70.

 

 

 

Pourtant le meilleur n’est jamais loin : le second arrêt aux stands sera un élégant mas de Payogasta et son épicerie à l’ancienne. Sur les rayonnages des malbecs d’altitude aux étiquettes rédigées à la main et un intriguant vin orange ; 10€ la bouteille, cher pour le pays, mais c’est une micro-exploitation bio.

 

  

 

Au diable l’avarice, nous aurions du en prendre des caisses. Le malbec est d’une rare intensité : le jus, concentré, n’en n’est pas moins équilibré et aux notes de fruits noirs succèdent d’élégants arômes de cuir qu’une finale fraîche propulse haut dans notre estime.

 

 

Le vin orange est un ovni : imaginez un vin blanc que l’on laisse macérer avec ses lies. Cette vinification ‘comme un rouge’ va alors donner à notre blanc un supplément de corps, de matière et cette couleur ‘naranja’. Très utilisée au moyen âge, cette pratique subsiste encore en Géorgie et on la voit resurgir chez des vignerons bohèmes et aventureux.

Le vin, lui, est déroutant : le nez de prime abord frais et fruité évolue vite vers des notes de miel, d’armagnac. L’attaque est franche, le jus corsé (14 degrés) et la bouche ample, charnue… ce n’est plus un blanc, ce n’est pas un rouge. Cela nous évoque un vin muté tel que les jaunes du Jura, mais en moins sec, et la complexité du bouquet emprunte à de grands bourgognes : que l’on nous serve une poule bressane à la crème sur le champs !

 

L’arrivée à l’oasis de Cafayate signe le terme de ce far-west argentin. Ici le blanc est roi et les surfaces viticoles s’étendent à perte de vue : de jolie ceps anciens, torturés, produisent des vins fin de plus en plus recherchés et les grands s’y intéressent ; Pernod Ricard vient d’ailleurs de s’offrir un domaine de près de 300 hectares.

 

 

Nous visiterons Quara, une bodega locale de ‘seulement’ 400 hectares. Gamme transparente et honnête : 4 vins produits à grands volumes, quelques copeaux de bois dans les cuves en inox pour maquiller la gamme prémium, et voici une offre qui va de 1,75 à 4€ la bouteille. Ici les vins les plus simples sont les meilleurs : le malbec sans chichi est un joli vin de copains pour partager une pizza ; le rosé un bonbon fort rafraichissant et leur torontès, le blanc, une bombe à moins de 2€. Vif, fruité comme un riesling mais peu sucré, c’est une gourmandise sans prétention, un plaisir simple.

Nous sommes certes loin de nos idéaux viticoles français mais il se dégage de cette Argentine du Nord un formidable sentiment de liberté et il y a tout pour croire en leur avenir. Cette conquête de l’ouest est le théâtre d’initiatives prometteuses et gardons à l’esprit que côté américain, après 200 ans d’histoire, la Californie est aujourd’hui l’état le plus riche du pays, et les innovations de la silicon valley guident (voire gouvernent) notre monde moderne.

 

Au prochain épisode nous poursuivrons l’école buissonnière et iront à la rencontre d’un poète du raisin, l’un des rares du continent à partager les visions du mouvement italien slow food et de l’association terra madre : un joli moment d’humilité.

Ce 10 décembre Slow food met à l’honneur les acteurs locaux?; en echo à leur dynamique savoureuse et à la toute puissante world company made in USA?, voici un proverbe indien d’Amérique :  « Seulement après que le dernier arbre aura été coupé, que la dernière rivière aura été empoisonnée, que le dernier poisson aura été capturé, alors seulement vous comprendrez que l’argent ne se mange pas. »

 

https://www.youtube.com/watch?v=hCdNf-5meRY

 

Quelques chiffres à ce jour : 7 pays, 15 000km, 4 mois… je vous dévoilerai une prochaine fois le nombre de vins goutés ?