Voici un mois que nous parcourons le sol sud-américain et que nous essayons de vous faire partager nos découvertes (quand le wifi le veut bien ;-) ). Arrivés à l’ouest du Brésil, dans l’extrémité sud de l’Amazonie, nous avons au compteur 4000 kilomètres, franchi 2 des plus grands fleuves du monde, traversés 4 pays et fait de nombreuses rencontres.

 

Un passé colonial hispanique, une identité portugaise forte, des empreintes italiennes, françaises jalonnent notre parcours de ce coté des Andes : dans la culture, dans les visages mais aussi dans les linéaires nombre de choses nous rappellent à notre bonne vieille Europe. Les fromages, bien que fabriqués ici, s’appellent mozzarella, brie, swiss gruyer; le pain se la joue Francès et le vin n’est pas en reste. On trouve du Champañe argentin, du Bordô brésilien et du Pinot blanc de Loire… malheureusement ça n’en porte que le nom et nous sommes loin du chenin prometteur de Philippe Boucard à Bourgueil.

 

  

à coté du Cliquot, le Champañe à l’orthographe locale; le Pinot de la Loire, un chenin du coin et enfin le vin italien revisité en espagnol 

L

e bordô d’ailleurs, n’a pas laissé Carolyn indifférente : elle l’a détesté ! Avis aux connaisseurs, il s’agit d’un vin brésilien issu d’une autre variété que celle utilisée en Europe : chardonnay, merlot, cabernet et tous les cépages que vous connaissez sont des Vitis Vinifera. Le Bordô en question est de la famille Vitis Labrusca… communément appelée vigne américaine et dont les cépages sont l’Isabel, le Concorde ou la Noah. Une loi de 1936 les interdit en France (on parlait alors du vin qui rend fou), ici, au Brésil, ils représentent la majorité des plants et ont la particularité de produire des vins moins alcoolisés (10 degrés), beaucoup plus acides (acide tartrique) et au goût « renardé »… vraiment dur, dur, dur.

 

La gamme de vins qui nous accompagne depuis le début, un panel d’une soixantaine de références, n’a pas encore su vraiment nous émouvoir. Là où nous avons trouvé le plus de choix, les vins sont classés par cépages, 4 majeurs, et l’étagère se termine par les rares autres variétés. Sur 20 mètres vous avez donc Malbec, Tannat, Carbernet Sauvignon et Merlot, confondus entre eux les vins de différents producteurs, de différentes régions et même de différents pays. Les millésimes sont rarement indiqués et la seule méthode qui soit mentionnée est ‘roble’ pour un élevage en fût, d’ailleurs parfois du recyclage de fut de chêne français. Au Brésil, au Paraguay, en Uruguay, 30% du linéaire est dédié aux tinto « suave », des rouges sucrés ; bof bof…

 

  

…. notez la présence d’un vin français au dessus des vins « suaves » brésilien: le Merlot de JP Chenet, on connait meilleur ambassadeur

 

Le terroir, n’est donc pas considéré… seul les vins argentins haut de gamme précisent la régions de production. Dans un tel contexte le critère premier de choix est l’étiquette et le marketing de l’emballage. Et sur ce domaine, les Chiliens semblent les maîtres à bord! On vérifiera une fois sur place…:-) Imaginez mélanger sur une même étale Alsace, Bourgogne et Languedoc, pourvu qu’ils soient issus de pinot noir ; ôter les années, et ne choisir votre cru qu’au design et à la marque : au petit bonheur la chance.

 

Evidemment cela reflète la nature générale des vins : on privilégie le fruit et l’on vinifie de sorte à ce que le jus ait l’arôme typé variétal. Un peu comme si le merlot goûtait la cerise, le tannat la canelle, le cabernet le cassis… oubliant par là même profondeur, structure, tannins, tension, amertume et acidité. Sans jugement de valeur, cette neutralité se retrouve dans la cuisine du quotidien. L’assiette se compose de viandes grillées, énormément, de pommes de terre, de frites, de riz, de pâtes, de patates douces. Les desserts sont à base de crèmes glacées, de dulce de lecce et de fruits secs. Le chocolat est présent mais riche et pas vraiment à notre goût (eh oui, nous sommes exigeants!), le café au kilo est sucré par défaut dans le paquet (on ne s’y fera pas reprendre…!) et le choix de légumes et de fruits est parfois limité ; quant au poisson : rarissime…

 

une belle surprise : un malbec rosé

 

Côté boissons, devant toutes; la reine c’est le maté ; les sodas ont plus la cote que les jus de fruits (une vrai galère pour trouver un jus d’orange 100%, sans sucre ou vitamines ajoutées alors que l’on voit des orangers dans la rue, lol) et la bière dépasse de beaucoup le vin. Imaginez que dans un restaurant d’affaires de Buenos Aires, un midi de semaine, entourés d’une centaines de clients cravatés, nous n’avons pas vu une seule bouteille de vin sur table alors que tous mangeaient de la viande! Que dire aussi d’un groupe d’une dizaine de jeunes, le dimanche midi, faisant un super barbecue sur la plage, musique à fond et sirotant du maté sans une seule bière…?!

 

L’explication est double : d’une part plusieurs pays imposent la tolérance zéro au volant et si vous soufflez le matin le moindre reliquat d’une soirée arrosée, un 0,1% de rien du tout vous condamnerait à une amende de 200€ avec mise en fourrière de votre véhicule. Dissuasif, non? L’autre est sociétale. Bien que cousines, nos cultures n’en sont pas moins différentes et le vin, présent de Rome à Lyon depuis près de 2000 ans, n’a pas ici la même empreinte. A tort,  j’avais la prétention de croire que l’on pourrait comprendre les vins d’ici comme on peut le découvrir chez nous. Un rendez-vous le mois prochain avec une Française installée dans les Andes devrait nous aider à déchiffrez leur approche.

 

 

une jolie sélection de Rhums au Paraguay et de Cachaça au Brésil

Ne boudons pas notre plaisir et consommons local ! Au Paraguay nous avons gouté la Caña : le rhum ici coûte moins cher que les sodas : 1,5€ la bouteille de rhum blanc, à 3€ le Fortin reserva vieillit 8 ans en fût de chêne. J’ai souvenirs de quelques amateurs patentés qui se délecteraient de ce Dipplo bon marché (ils se reconnaitront ;-) ).

 

Au Brésil, bien qu’en plein hiver, il fait déjà 30° : la cachaça, aguardente (eau de vie) ou pinga (gnole), est un alcool de canne aussi rafraichissant que le rhum ; caïprinha au citron vert, miel, cannelle et glaçons sur des airs de bossa vous bercent divinement et nous avons pris soin de les tester et…les tester à nouveau, juste pour être sûrs :-)

 

Finalement les vraies valeurs sont là ! Un chemin à travers la forêt tropicale, quelques coatis et singes joueurs, un grondement et face à nous la « gorge du diable ». Les chutes d’Iguazu, parmi les 7 nouvelles merveilles du monde, nous rappellent la force de la terre, l’eau vous domine et la puissance vous saisit. Le parc éponyme abrite la plus grande variété de faune d’Argentine… la rencontre d’une soigneuse d’un refuge pour animaux nous a ému : «  ici les gens viennent voir la chute et bafouent l’écosystème qui les entoure. Cette environnement, menacé, est d’une richesse sans équivalent et les espèces disparaissent en raisons de l’agriculture intensive et du grossissement des villes ».

 

  

 

1000km plus au nord, c’est dans le Pantanal brésilien, que le spectacle est bluffant. L’état brésilien n’a pas jugé utile d’y créer un parc mais un ensemble de fermes privées, constitué en réserve, nous a subjugué. Notre guide Paulo, désolé que les brésiliens ne s’émeuvent pas de cette nature, nous à conduit à travers forets, fleuves et plaines : jamais nous n’avons vu autant d’animaux sauvages dans leur espace naturel. Dans les alpes nous pouvons faire une randonnée de 5 heures et se réjouir d’avoir surpris trois marmottes et deux bouquetins. Ici en deux jours nous avons vu des milliers d’oiseaux, des aras bleus, rouges, des daims, des sangliers en meute, des loutres géantes joueuses, des centaines de caïmans la bouche béante, des capibaras en famille, de flegmatiques tamanoirs, des tatous et.. un majestueux jaguar.

 

  

 

Bouche bée. Cette nature exubérante est en danger. Nos hôtes nous ont rappelé qu’il n’y a plus que 250 jaguars sur la planète comme signe visible de ce gachi silencieux. Impliqués, soucieux de transmettre cette chance, ce trésor que constitue leur terre nous avons retrouvé dans leur plaidoyer la même humanité que celle que nous chérissons tant chez nos conservateurs du paysage français, nos artisans vignerons. Douceur de vivre et bossa entrainante… nous quittons le Brésil émerveillés par ces belles personnes qui de leurs racines à leur conscience humaniste nous inondent de bienveillance.

Une rencontre rare et majestueuse…

 

Au prochain épisode nous prendrons de la hauteur, beaucoup de hauteur… et irons là ou le vin prend racine.

 

« Un humanisme bien ordonné ne commence pas par soi-même, mais place le monde avant la vie, la vie avant l’homme, le respect des autres êtres avant l’amour-propre. »

Claude Lévi-Strauss