Sortir de la zone de confort… cette injonction à la mode chez les coachs, qui fait les marronniers de tous les hebdos de la rentrée, nous allons la mettre en pratique. Après 3 mois de voyage, force est de constater que nous tentions d’apprécier ce que nous découvrions selon notre échelle de valeurs, valable en France, mais beaucoup moins ici. Plus que juger, le vin se vit, et pour comprendre ce continent la Bolivie sera notre laboratoire.

Tout d’abord, je me dois de vous dire que ma femme est finalement moins aventurière que je ne le pensais…Elle n’a pas voulu manger de cuy! Bizarre, ils avaient l’air bons ces petits cochons d’inde rôtis! Par contre, pour ce qui est des douceurs chocolatés, des glaces et diverses boissons; elle est toujours partante…

 

 

Ce petit pays de 11 millions d’habitants, autoproclamé « cœur » de l’Amérique, en est le Yin & Yang. Il est de ces destinations, telle l’Inde, qui vous saisisse, vous bouscule, vous dérange. Ici tout rivalise à l’échelle mondiale : le lac le plus haut, Titicaca ; la capitale la plus haute, La Paz à 4200 ; le plus vaste salar, Uyuni, grand comme un département français ; le plus haut indice UV, 12 sur 10 ; la moitié du territoire dans les Andes, l’autre en Amazonie : génial !!! Mais c’est aussi le pays le plus pauvre d’Amérique, 39% de la population ; il culmine en tête de la saleté, de la pollution, de la corruption et c’est le second pays producteur de coca. Comme un doigt d’honneur aux Nations Unies, le président, dont la photo s’affiche partout, a récemment fait inscrire dans la constitution la culture de cette feuille si prisée des présentateurs de télé parisiens et qui enrichie les héritiers de Tony Montana.

 

 

quelques réserves sur la qualité du gasoil…

« On dirait que ça te plait te marcher dans la boue » Nos amis vignerons jouent de la carotte et cartographient leurs sols pour mieux identifier les qualités de chaque parcelle… ils sont doués en tectonique (des plaques, pas la danse ;-) ). Nous c’est chaussures aux pieds que l’on va relever le défi Bolivie :

 

 

  • « Somewhere over the rainbow»…? Sud Pérou, avant de rejoindre le lac, un dernier rempart se dresse. Une piste de 30km nous fait serpenter à travers des canyons austères et mène notre fidèle maison roulante à un plateau culminant à 4400 mètres. 8h du matin, le brouillard nous enveloppe et petite-fille sur le dos nous partons en direction du col. 800m de dénivelé, le manque d’oxygène nous la fait « mot compte double », et voilà qu’à 5200 un sommet arrondi nous dévoile les successions de strates qui ont fait ce continent. Ici point de pic alpin, découpé, acéré, les montagnes sont jeunes et cet arc-en-ciel tout en courbes témoigne de combien les couches de terre sont riches.

 

 

 

  • « Here name was Lola…»…? Copacabana, sur les rives du lac, n’a rien à envier à la plage éponyme. L’eau azur, le soleil irradiant des 4200m, et cette impression d’un « je ne sais quoi de Méditerranée »… Farniente, oisiveté, en se régalant d’une truite arc-en-ciel avec une bière bien fraîche, on n’en n’oublierait presque les 9° de l’eau et les 300 mètres de profondeur. Peu inspiré à l’idée de franchir Titicaca à la nage, nous trouverons finalement une embarcation mue par un frêle moteur de 25cv… gamin j’ai du manqué le cours sur la poussée d’Archimède mais visiblement tout corps plongé dans l’eau, avec un peu de patience, en ressort à un moment ou un autre.

 

 

 

  • « Baby you can drive my car »…? La Paz, une ville de 3 millions d’habitants, est lovée dans un canyon dont les routes sont plus escarpées que la Lombard street de San Francisco. Les micro-bus en provenance de tout le pays font du coude à coude pour s’immiscer entre le trottoir, les étales d’un marché clandestin, les piétons et notre véhicule de 2,3 mètres de large. Ce « man vs wild » prends des allures de « fast & furious » dès qu’il s’agit de se frayer une place lors d’un démarrage en côte avec 4 tonnes inertes sous le pied… chacun pour soit, Dieu pour tous ; bee-beep, bee-beep, yeah !

 

 

  • « Bicyle, Bicycle, I want to ride my Bicycle»…? Des hauteurs de la capitale plonge vers l’Amazonie la route dite WMDR : world most dangerous road selon la Banque Mondiale. Remplacée en 2006 par une voie sur l’autre versant, cette portion de 40 km voyait en moyenne 26 véhicules faire le grand saut tous les ans. Au sommet d’un col à 4700, la Cumbre, nous enfourchons un VTT pour 64km de descente. Sur un premier tronçon, asphalté, nous doublons quelques camions fumants puis au détour d’un tunnel la route se dérobe vers le ravin. Un village de cahuttes marque le début d’une portion de piste grignotée à même la falaise. Conduite à gauche, croisement impossible, pierrier, l’expérience de 3600m de descente grise : au sommet le paysage est lunaire, l’oxygène rare et il fait guère plus de 1 degré. A l’arrivée, en moins de deux heures, nous voici au cœur d’une foret tropicale dense, entourés de perroquets et suffoquant sous 35 degrés : d’un extrême à l’autre!!!

 

 

  • « une île, une île claire comme un matin de Pâques…»…? Au delà du climat, la géologie se joue de nous. Imaginez un désert, des heures de lignes droites à parcourir une étendue de sel immaculée où le soleil vous brûle. Ce paradis blanc, paisible et salé interpelle autant qu’il émerveille… l’horizon est trouble, les perspectives trompeuses et l’on dessine ici une nouvelle frontière du réel au paradis.

 

 

 

  • « Highway to hell »…? Les plombiers boliviens ne manquent pas d’humour : dans la douche n’arrive qu’un seul tuyau d’eau froide ; et pour la mettre à la bonne température la pomme de douche est tout bonnement électrifiée… 6000 watts, 32 ampères, sans fil de terre, afin de mettre un coup de chaud instantané. Avis aux bons conducteurs : n’hésitez pas à mettre la main sur le robinet en acier… vous verrez St Michel Gaillard et Frère Fabien vous chanter AC/DC.

 

 

 

  • « The darkside of the moon »…? Ces paysages surnaturels, venteux, si haut perchés sont dignes des plus belles symphonies du mythique groupe anglais Pink Floyd : une nappe d’orgue, la guitare, seule, vous transporte. J’imagine déjà Alain Bertrand, mon beau frère Bertrand ou mon ami Carl planer… une piste chaotique nous conduit à 5000 d’altitude. Autour de nous la terre, noire, défie le ciel azur et au loin se dessine un improbable lac rouge. Dehors le vent nous cingle le visage. Dans cet enfer, une colonie de flamand rose, paisible, nous apostrophe : « viens toi le peintre, toi le flutiste, toi le prisonnier et brille comme le diamant fou »

 

 

Cette découverte épique du pays nous apprend finalement beaucoup sur le continent : terre de contrastes, de conflits, c’est un territoire dur qui a façonné une population au caractère tranché. La survit est inscrite dans leur ADN et ici, encore moins que dans les pays voisins, les vins chiliens n’ont pas la cote… Le sud, au delà de la ville de Sucre, est un merveilleux enchevêtrement de canyons et d’oasis. A Tarija, s’étend la bien nommée vallée de la Conception où l’on produit du vin et de la Singani, une cousine de la cachaça.

 

 

« Campos de Solana » est un domaine 100% Boliviano… ici pas d’intervention de Gringos européens venu ramener sa science. Le vignoble est superbe : 2000m d’altitude, de petites parcelles sur un sol argilo-calcaire, pas d’irrigation ni de produits chimiques (bien trop chers pour ce pays ‘pauvre’), et la récolte se fait uniquement à la main. Table de tri, pressoir pneumatique, cuve en inox thermorégulée… un matériel semblable à celui que l’on peut trouver en France. Certains jus sont élevés en fût de chêne pendant 2 ans, français et américains, renouvelés tous les 5 ans… La gamme des vins maison va de l’Oporto, un rouge moelleux  – très peu pour nous ? – à des assemblages plus pointus. Malbec, Tannat, Cabernet… les vins sont généreux, propres et présentables. C’est alors que Carla, notre hôte Germano-Bolivienne, sort l’artillerie : 2 assemblages tri-variétal de 2015, rouge et blanc; élégants, équilibrés, épicés à la manière des meilleurs languedoc. Un ange passe : Esther Ortiz est la bouteille inattendue. 100% petit-verdot, 24 mois en fut de chêne, 6000 bouteilles par an… de l’orfèvrerie qui se vend à près de 35€. On navigue ici entre un Bordeaux, un Barolo… un vin racé, puissant et ultra prometteur. Petite précision : le domaine n’exporte pas ; ils y réfléchissent pour 2022 !

 

 

 

1 mois de Bolivie aura mis à rude épreuve notre panel d’émotions et à l’image de cette traversée plurielle se terminant par une jolie découverte, notre périple retrouve désormais la route des vins du nord de l’Argentine. Nous avons acquis ces derniers mois un bagage d’expériences, compris certains traits de leurs cultures, de leurs goûts, de leur histoire. Nul doute que ces retrouvailles avec le Torrontès auront une saveur nouvelle et que nous percevrons dans ces vins d’altitudes l’expression de cette terre tumultueuse.

 

 

Au prochain épisode nous accueillerons le printemps et nul besoin de chaussures de randonnées pour aller visiter le plus haut vignoble du monde… il fallait être né dans les montagnes pour aller planter du raisin à 3000 mètres d’altitude! Sans surprise c’est un suisse qui a eu cette audace.

 

Heureux automne à vous tous… sans doute une des saisons les plus gourmandes ; un joli bourgogne charpenté flirtera avec une côte de veau aux cèpes, un Loire plus rustique pour révéler un gibier mijoté. Je n’aurai qu’un mot mes amis: régalez vous.

De notre côté, nous dégustons des pâtes aux asperges, des entrecôtes avec des pommes de terre sautées et de belles salades composées avec de délicieux empanadas. Ici, nous sommes au Printemps et cette année, nous ne connaitrons pas cette belle saison de feuilles mortes aux douces odeurs de terres…

 

 » L’automne est un andante mélancolique et gracieux qui prépare admirablement le solennel adagio de l’hiver »

George Sand