Poursuivant notre route au sud nous arrivons à Mendoza, quatrième ville d’Argentine, blottie au pied de l’Aconcagua (plus haut sommet des Andes) et mondialement connue pour ses jus de raisin. S’il est une capitale viticole dans tout le continent c’est là: a elle seule la région produit 75% des vins Argentins, un quasi monopole, et ce nom fait vendre.

Ici, malgré l’occupation hispanique, c’est a une diaspora d’italiens arrivés il y a une centaine d’années que l’on doit ce penchant oenophile. Par la suite nombreux français les ont rejoins et on parié sur cet eldorado. La fierté nationale, le Malbec, dont on prétend ici produire le meilleur au monde, proviendrait de Cahors. Comme vu précédemment ici pas d’AOP ; chacun plante ce qu’il souhaite, produit comme bon lui semble et rivalise d’allégations « discutables » sur l’étiquette. Tous les grands groupes français y sont présents : LVMH, Lurton, Michel Laroche, Mumm…

On retrouve d’ailleurs dans cette ville aux accents méditerranéens une formidable qualité de vie, les gens aiment manger, boire et certains quartiers résidentiels élégants n’ont rien à envier à la Californie.

L’appellation Mendoza a proprement parler rassemble 3 zones de production :

  • la périphérie sud de la ville, Maippu, Pedriel, Cruz de Piedra. Le cœur historique du vignoble, détenu majoritairement par les géants et progressivement grignotés par l’expansion des résidences sécurisées de la ville. Les géants dont on parle produisent 10 à 20 fois plus que les plus grands domaines français… ici une bodega « standard » s’étend sur 700 hectares, un gros en cultive 3000. Au jeu de la démesure Trappiche, le numéro un, dispose d’une cuve grande comme un terrain de foot !!! Leur influence est telle que personne ne nous en dira du négatif : ils ont quelques cuvées intéressantes, de jolies technique nous répondrons les professionnels bien élevés.
  • A l’ouest, 400 mètres plus haut sur les contreforts de l’Aconcagua, s’étend l’aire de Lujan de Cuyo. Depuis les années 80 le vignoble s’y développe bénéficiant à 1200 mètres d’altitude de conditions plus fraiches pour la culture. Ici le malbec se fait plus vif et cette acidité confère aux vins élégance et légèreté (dans une certaine mesure).
  • 100km au sud, enfin, le Valle d’Uco, concentre depuis 15 ans les plus folles ambitions. D’audacieux investisseurs mettent ici en pratique l’expression anglosaxone « sky is the limit »… nous vous raconterons prochainement ces vignobles où il faut 20 minutes de route entre le portail et le chai.

A Mendoza c’est un couple de Français qui nous ouvre les portes du domaine Carinae. Ingénieur globetrotteur pour EDF, Philippe a décidé avec sa femme Brigitte, il y a 20 ans, de quitter l’hexagone. Tombés sous le charme de la région ils ont acquis une bodega à l’abandon qui disposait d’une vingtaine d’hectares de vignes (dont de remarquables syrah) et ont investit pour rénover et agrandir le chai. Lui, poète et technicien (si, si), a pensé leur exploitation comme une constellation, donné aux parcelles des noms d’étoiles, et apporté à l’ensemble de l’outil de production de la rigueur. Le pressoir en bois, une antiquité, a été révisé écrou par écrou… il est la raison.

Brigitte, elle, emprunte à Nougaro sa rauqe générosité. Elle est le coeur : les abords du domaine sont fleuris, rosiers en tête de lignes, véranda aux faux airs art-déco, des oliviers dispersés dans le domaines dont ils tirent une huile exceptionnelle. En arrivant vous êtes accueillis par une meute de chiens heureux, nos hôtes vous embrassent d’un bonjour solaire et il flotte dans l’air comme un parfum de sud-ouest : on s’y sent bien !

Ah j’oubliais : ingénieurs, français, aventuriers de la cinquantaine, passionnés certes… mais n’y connaissant rien dans le vin. Comme Brigitte nous en a fait l’aveu : « nous aimions boire du vin, mais nous avons fait tout ce qu’il ne fallait pas faire les premières années ; nous nous sommes complètement plantés ». Et pour cause : raisin trop mûrs, maladies, mauvaises températures de vinification… les pièges sont innombrables.

C’est finalement une rencontre qui va leur donner un nouveau cap : Michel Rolland, expert et star mondiale du vin. Aussi connu que décrié, il est à l’origine du renouveau bordelais des années 80, conseille près de 150 châteaux, et a ses affinités avec Robert Parker, le distributeur de notes américain. On lui reproche la structure puissante, le boisé de ses vins et d’une certaine mesure l’uniformisation du goût ; ses interventions sur la rive gauche donneraient aux vins des allures de Pomerol, sa terre natale en rive droite. Un débat que je n’alimenterai pas ici…

Alors que le nez Bordelais prospectait en Argentine, il s’est lié d’amitié avec le couple, les a conseillé et leur a montré un chemin. Une de ses disciples, Gabriela Celeste, sera désormais leur coach et depuis plus de 15 ans elle accompagne le domaine au quotidien, préconise et écoute leurs souhaits. Ce support du laboratoire Eno-Rolland a donné au vin de Carinae une contenance, une régularité, un avenir.

La gamme des vins est complète, voir étourdissante : 2 blancs, 1 rosé, des bulles et une dizaine de rouges. Un peu de négoce, un viognier pour séduire au premier verre… nous avons eu le privilège de tous les goûter avec le couple alors que nombreux touristes Brésiliens se bousculaient pour visiter le domaine. Telle parcelle de Malbec donne tel vin ; ici un assemblage avec la syrah en finale, du cabernet sauvignon qu’ils ont planté… un inventaire plein de poésie.

A la dégustation les vins sont puissants, corsés, juteux. Elevés en fut de chêne Français dans une cave climatisée (un luxe obligatoire), tous on cette rondeur soyeuse, ce parfum amandé si cher aux Bordelais. Le cabernet construit, le malbec signe le fruité et la syrah ancienne apporte du tonus, de l’écho. Le vin est indéniablement bien fait ; les meilleurs assemblages révèlent d’ailleurs un potentiel de garde que nous avons rarement vu en Amérique du Sud, un je ne sais quoi de fraîcheur pour leurs cuvées éponymes.

Confus… à l’aveugle on devinerait dans ce vin solaire un Languedoc bien élevé. Mais nous sommes à 12 000km de là, sur une terre aride irriguée par inondation avec un domaine jeune, de moins de 20 ans. Le travail accompli par Brigitte et Philippe est remarquable et au-delà de cette appréciation pragmatique, nous sommes touchés par l’émotion qu’ils insufflent jusque dans leurs vins.

Quel accueil, quel bonheur de diner dans les vignes et observer les étoiles un verre de malbec à la main ! Nous repartons le lendemain en direction du sud, le Valle d’Uco, à la découverte du plus grand domaine bio du monde… l’énoncé en soit est une énigme : peut-on conjuguer méga-production et respect de l’environnement ?

Avis aux amateurs en quête de reconversion : le domaine de Brigitte et Philippe est en vente, ils songent à leur retraite, et le prix de l’hectare ici n’est pas celui de la Bourgogne.

 ¨-)

Qu’il est loin mon Pays, qu’il est loin. Parfois on fond de moi se ranime l’eau verte du canal du midi et la brique des Minimes… ö mon païs !